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Il attisait le feu dans la cheminée lorsqu’on frappa à
la porte, c’était pourtant un jour comme les autres, un jour
qui se terminait sur des points de suspension. Des points comme
les cailloux semés du petit poucet, des points comme des poings
qui s’égarent sur le visage du temps passé. Il posa le
tisonnier, le feu crépitait de plus belle, sa lumière
multipliait des ombres toutes tendues de gris différents selon
les recoins de la pièce. En ouvrant la porte il songeait
encore à son enfance, à ces doux lieux de campagne, l’été,
quand les troupeaux s’abritent près des bosquets ou sous des
arbres centenaires, quand il marchait sans le moindre but que
celui d’entendre la nature et tous ses silences ébruités
d’insectes ou seulement de ses pas sur les sentiers
caillouteux.
- Pourquoi tout mettre à la poubelle demanda la silhouette
plantée devant la porte qu’il venait d’ouvrir ?
- Je n’ai même
plus de poubelle, tout a servi à allumer le feu… Mais entre…
La
lumière du feu guida la silhouette qui s’installa dans un
fauteuil à demi éventré. Sur la table basse un cendrier
plein de mégots côtoyait un verre de vin, une bouteille demie
vide, un stylo, des feuilles éparses. Il amena un autre verre, le
remplit.
-
Tu as trouvé le chemin ? Pourtant je l’ai creusé de tous
mes pas chaque jour afin qu’il soit impraticable…
- Quand on cherche on trouve ! « A celui qui frappera,
l’on ouvrira ! »
- Voilà, tu recommences avec tes citations bibliques…
- Je ne cites pas, je dis ce que j’ai appris…
- Moi, ce que j’ai appris est au feu…
- Aucun feu n’éteint l’enseignement de la vie, ni les douleurs,
ni les jours de paix…
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Le feu commençait à s’assoupir. Ils partagèrent
le reste de vin assorti de pain de campagne et de fromage qui
avait mûri sur la paille dans un cageot qui ne servirait jamais à
allumer le feu car, ici, le feu de cheminée restait
imperturbable. Le matin des braises encore rougeoyantes
suffisaient à rendre l’âme à la vie mais guère la vie à
l’âme. Ils s’étaient endormis.
La clarté du
petit jour, par les fenêtres étroites de la maison, lui
ouvrit les yeux. Sur la table basse les deux verres se
frôlaient, le cendrier était vide, le pain et le
fromage rangés. Machinalement il alla souffler sur les braises,
ajouta quelques bûches dans l’âtre, et l’éternel
crépitement repris sa chanson.
Il
s’étira, fit quelques pas vers la cuvette posée sous la pompe
à eau. Un allé retour sur le bras de la pompe suffit à faire
monter l’eau et remplir la cuvette. Ces gestes étaient si
quotidiens qu’il ne les remarquait même plus. Il poursuivait sa
route sur les chemins de son enfance. Il fit sa toilette, alla
jusqu’à la porte et fit ses premiers pas de la journée,
ceux qui devaient rendre le chemin impraticable
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Bien
sûr l’hiver s’en irait, le feu, doucement, cesserait
d’éclairer la pièce et le soleil paisible, aux premiers
jours du printemps, viendrait peindre les ombres de ses rayons de
feu. Bien sûr, songea t il, elle était là. J’ai bien
ouvert la porte. Nous avons parlé. Mon chemin n’est pas assez
creux, et revoilà des questions ! « Je ne veux plus de
question ! » Je ne veux plus savoir… »
Le
printemps s’inscrivait dans les branches des arbres. Les
premiers perce-neige depuis longtemps avaient laissé leur place
aux pensées. Il sortit, sachant qu’il creusait, une fois, de
plus, le chemin qu’il voulait impraticable. Non loin,
une ferme burinée par tant de vie, une ferme aux murs épais, à
la porte grinçante, une ferme dont il savait « tout »
autant qu’elle le connaissait pour l’avoir vu naître,
profilait l’âme d’une femme : Madame Bonnefoie.
Il
fut à cet instant la silhouette devant la porte. Madame Bonnefoie
lui dit :
- Entre,
Petit !
Près
d’elle il retrouvait tous les parfums des monts, des plaines,
des étables chaudes où les « bêtes » ont la
valeur humaine que les humains – entre eux – ne s’accordent
plus. Il retrouvait une Femme âgée, pleine de sagesse dont le
regard n’était rien d’autre qu’un sourire.
- Entre,
Petit !
De
son armoire sculptée par les maux de sa vie, elle sortit deux
petits verres et la niaule, ce breuvage rituel qui accueille tout
un chacun s’il y consent.
-
Nous avons passé l’hiver, dit-elle, c’est déjà beau…
- Vous
avez veillé, hier soir ?
- Je
me suis endormie dans cette chaise, vois tu, je ne la quitte plus…
- Quelqu’un
est venu chez moi, avez-vous entendu des pas sur mon chemin
impraticable ?
- J’ai
vu une lumière quand tu as ouvert ta porte, ton feu illumine
toute la vallée…
- Alors vous avez vu la silhouette ?
- Je
ne vois que les lumières puissantes, celles du feu, du
soleil, des étoiles mais pas les ombres !
La
niaule avait un goût de fruits, des fruits sans âge, des fruits
récoltés à la main parmi les arbres du verger ou parmi les
baies qui sillonnent les sentiers. Leurs deux verres se frôlaient.
Il
se roula une cigarette. Embrassa Madame Bonnefoie sur le front et
reprit le chemin qu’il creusait afin qu’il fut
impraticable.
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En ce premier jour de printemps, les fleurs
s’égouttaient de leurs pensées précieuses. Il ne regardait
pas autour de lui, seul son chemin creusé importait à ses pas
comme à ses songes ! Rapidement s’approcha de lui la
porte de sa maison. Elle était grande ouverte bien qu’il la sut petite.
L’interrogation revint comme les nuages se glissent entre nous
et le soleil. L’avait-il laissée ouverte ? Oublia t il de
la fermer ? A nouveau de nouvelles questions auxquelles il ne
répondrait. Il ne chercha rien, se posa dans le fauteuil à
demi éventré comme éventrée la demie bouteille de vin qu’il
chercha d’une main machinale, songeant à ces deux verres qui se
frôlaient toujours sur la table basse. Il avait éconduit bien
des rumeurs, bien des regards qui ne songent qu’à eux ;
son ombre allait la vie, la vie traçait des ombres.
Elle
était là se dit-il… D’où revient-elle ? Quel est son
nom ? Son histoire écrite en moi ? Pourquoi
maintenant que je suis en paix ?
Madame
Bonnefoie pouvait tout voir, tout savoir. Pourtant elle était
restée aveugle ce soir là ! Que fallait-il en penser ?
Elle d’une telle sagesse avec tant de chemins creusés sous ses
pas dans l’aride des vallons, des collines où l’on se
disperse autant que dans l’immensité nuisible des villes qui
vous avalent ? Les questions dans l’âtre du feu éteint
par le printemps qui sait mentir lorsque naissent des fleurs
sans que le bourgeon vut le jour, les questions se gravaient comme
sortent de la terre les premiers pissenlits avec lesquels il
faisait de petites salades agrémentées de lardons frits. Les
questions ! La question revenait au jour.
Il
but un peu de vin, se tourna vers la fenêtre où, parmi les
pâturages, coulait un ruisseau clair à peine ombré dont le
chant ne cesserait plus jusqu’au prochain automne. La
silhouette était assise au bord de ce temps. Il ne voulait
pourtant plus se poser de question mais un jour viendrait – il y
songea – où leurs regards vraiment se croiseraient.
le
14 05 2010
Il
était resté longuement à la fenêtre. Le soleil s’éteignait
doucement sur la vallée, les ombres longues du soir se mélangeaient
ainsi que l’obscurité s’installa. Seul le ruisseau reflétait
les premières étoiles bien que son chant s’estompait. La nuit
prenait le jour. La
fenêtre fermée, il laissa sa porte ouverte. Il mit deux assiettes
sur la table basse, sortit du pain et du fromage et commença à
cuisiner quelques légumes. La
lumière du feu, pour cette première nuit de printemps, avait cédé
la place à deux petites lampes qui jetaient une douce lumière dans
la pièce et tout était calme.
- Tu
veux manger, dit-il, sentant, dans son dos, une présence - Oui et me reposer
aussi… - Entre, assieds-toi… La
silhouette s’installa dans le fauteuil demi éventré. Elle
remarqua les deux assiettes et songea : « Il ne m’a pas
oubliée ! » Il
ne se regardèrent pas, n’échangèrent aucun mot. La bouteille de
vin était vide. La nuit pleine. Il sortit creuser un peu plus le
chemin qu’il voulait impraticable. Non loin il aperçut la
lumière à la fenêtre de Madame Bonnefoie. La fatigue et la
fraîcheur du soir ramenèrent ses pas vers la maison. Il entra. La
table basse était débarrassée. Il prit une couverture et couvrit la
silhouette qui s’était assoupie. Demain, il faudra que je
descende un matelas du grenier, songea t il ! Il poussa un peu
la table basse pour dégager un coin de tapis et s’étendit là. Il
était à ses pieds.
De
là son regard ne pouvait observer que le tas de cendre que l’hiver
avait déposé dans la cheminée. Il y restait quelques bûches bien
noir dont le feu n’était venu à bout. Il sortit peu à peu de son
sommeil et remarqua la table basse, elle était déplacée. « Mais
qu’est-ce que j’ai encore fichu avec ses verres de vin ?
Ai-je au moins creusé le chemin que je veux impraticable ? »
Il
se leva péniblement, se dirigea vers la cuvette sous la pompe et
activa le bras qui apportait l’eau pour sa toilette. Il refit ce
geste et se mit la tête sous l’eau très froide qui montait du
puit. Peu à peu les choses lui revenaient en mémoire. Il
avait poussé la table basse à fin de s’étendre sur le tapis.
Mais avant ? Avant songeait-il !
Encore
des questions, des questions qu’il ne voulait plus se poser. Des
questions auxquelles il ne voulait plus répondre.
Tant de
soirs, seul, avec son vin, son écriture et le silence ! Tant
de soirs avec les mots ! Tant de mots jetés vers les cieux
que nul ne sait plus regarder ! Tant de fois à avoir espéré
toucher un cœur, une âme, un Être rien que par l’Ecriture !
Il
s’essuya le visage, se frotta énergiquement les cheveux et,
dans le petit miroir accroché au mur, se regarda. Il avait une
barbe de cinq jours ! Il se trouva ridé, fatigué pour des
questions et puis d’autres questions que la vie pose comme un
enfant qui dit toujours : « Pourquoi ? »
Il
se dirigea vers le fauteuil et remit la table basse à sa place.
Il vit la couverture, la ramassa. A cet instant tout lui revint en
mémoire. Elle dormait, se dit-il ! Elle dormait j’en suis
sûr !
Ce fut le premier jour où il ne songea
pas à aller creuser le chemin qu’il voulait impraticable. Il
n’eut pas le temps. La porte s’ouvrit. Il se retourna et vit
la silhouette que le soleil auréolait d’une étrange
clarté.
|
-
Je peux entrer dit-elle ?
-
Bien sûr…
- Où es-tu allée de si bonne heure,
poursuivit-il ?
-
Il y a une ferme non loin. J’aime marcher quand le jour se
lève !
- Tu es allée chez Madame
Bonnefoie ?
- J’ai trouvé une ferme où demeure une
vieille femme, elle m’a offert du lait chaud et de grandes
tartines de confiture.
- C’est Madame Bonnefoie…
-
Je ne sais pas, mais elle m’a parlé de toi…
Elle
s’avança vers lui. Jamais ils ne furent si près l’un de
l’autre. Il la regarda. Tu n’as pas changé, ton regard, le
dessin de ta bouche, la couleur de tes cheveux, tu es telle que ce
jour où je suis parti… Moi, les rides ont gravé mon visage, le
temps m’a griffé l’âme et le cœur… Moi j’ai vieilli…
Elle
se dirigea vers le fauteuil, s’y installa. L’or du soleil
profitait de la porte ouverte et de la petite fenêtre pour
jeter toute la chaleur possible sur eux.
- Chris,
dit-il, veux-tu un café ou un petit verre de niaule ?
Elle
ne répondit pas. Son regard fixé sur les cendres dans l’âtre,
elle découvrait cet exil. Ce lieu qu’il avait choisi pour
disparaître, pour oublier, pour ne plus se poser de questions
auxquelles il ne voulait plus répondre. Elle sentait en elle,
malgré cela, un espoir, une illusion peut-être, songea-t-elle !
Mais ce qui demeurait primordial, c’est qu’elle l’eut
retrouvé après tant d’années. Devant ses yeux
défilaient des photos, des écrits, des paroles. Tout ce qui lui
avait permis d’arriver ici avant qu’il n’eut trop creuser le
chemin qu’il voulait impraticable.
- Tu veux un café ou
un petit verre de niaule, reprit-il ?
-
Un petit verre de niaule s’impose, répondit-elle…
Il
posa sur la table basse deux verres que lui avait donné Madame
Bonnefoie et la bouteille de niaule au trois-quarts entamée. Il
tira vers lui un tabouret à trois pieds, de ces sièges qui
n’avaient d’usage que pour la traite des vaches et qui, avant,
demeuraient toujours dans l’étable. Il remplit les verres. Il
n’osait la regarder.
-
A quoi buvons-nous, dit-il ?
-
A notre rencontre…
Une
foule de questions se bousculait dans sa tête, lui qui n’en
voulait plus, lui qui avait tant creusé le chemin qu’il voulait
impraticable. Il remplit à nouveau les deux petits verres
machinalement comme pour combler le silence. Quand il la regarda à
nouveau, son visage, que le temps n’avait marqué, le mit en
confiance. Autant il avait oublié de creuser son chemin ce jour-là,
autant il brûlait de questions.
- Comment
es-tu arrivée ici, ce lieu est mon secret ?
- Dans
tes écrits, dans les photos que j’ai retrouvées, dans ce que l’on
m’a dit de toi, j’ai d’abord situé la région. Il fut facile
de comprendre que tu étais revenu vers ton lieu de naissance.
- Quels
écrits, quelles photos, qui t’a parlé de moi alors que tu me
connais si bien ?
- Tous
tes textes étaient rangés soigneusement dans des cartons ainsi que
les photos…
- Pourquoi
revenir vers moi, maintenant, après tant d’années ?
- Je
ne voulais pas continuer de vivre, je ne pouvais pas… sans te voir…
- Chris,
dit-il, j’ai creusé mon chemin afin que nul ne le retrouve, j’ai
éteint toutes les questions que la vie pose devant nous sans
qu’aucune n’ait de vraie réponse. Je suis venu ici pour m’y
éteindre… -
Je ne m’appelle pas Chris, répondit-elle…
..... à
suivre...
copyright. Tous Droits Réservés. Alain Girard
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Commentaires
merci Fanfan de votre fidélité à mes écrits...
j'espère que vous aimerez cette "histoire" qui n'en est qu'à ses balbutiements... Amitiés. Alain
Bonsoir Alain, merci de publier cette nouvelle, je viendrai lire la suite, mes amitiés, fanfan